Par Bombi Baldé, Directeur Projet Ressources Fiscales à la MAMRI
Dans le cadre de la lutte contre les flux financiers illicites, plus d’une centaine de pays membres du Cadre inclusif essentiellement, composé des pays de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) et du G20, ont adopté, en 2021, une solution reposant sur deux piliers pour faire face aux défis de la numérisation de l’économie. Cette réforme du siècle[1], initialement prévue pour une effectivité en 2023, entrera probablement en vigueur en 2024[2] et impactera, de façon certaine, les économies en développement comme la nôtre. En effet, selon les experts, une partie des recettes additionnelles générées par ces mesures, à savoir 250 milliards d’euros au niveau mondial, pourrait également profiter aux Etats africains qui, – faut-il le rappeler – ont été parties prenantes aux travaux à travers l’ATAF (African Tax Administration Forum), le forum sur l’administration fiscale africaine basé en Afrique du Sud.
Le pilier 1 concerne les entreprises multinationales qui réalisent un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros grâce à la vente en ligne de produits et services à des acheteurs à travers le monde. Ces entreprises gagnent beaucoup d’argent grâce aux ventes qu’elles réalisent dans plusieurs pays sans y payer leur juste part d’impôt. Très souvent, elles n’y ont aucune installation physique, ni même de représentation. Les gouvernements occidentaux acceptent, désormais, de réattribuer à ces pays une part des bénéfices réalisés par ces entreprises du numérique. Cette mesure vise ainsi à lutter contre les pertes de recettes subies par les Etats du fait de leur incapacité juridique et matérielle à capter la manne financière provenant des activités commerciales électroniques.
Quant au pilier 2, les entreprises multinationales dont le chiffre d’affaires annuel dépasse le même seuil devront, sous réserve que leurs Etats d’origine aient intégré la solution en droit positif, veiller à ce que le taux effectif d’imposition soit au moins de 15% dans chacun des pays où elles opèrent. A défaut, l’écart constaté dans un pays donné devra obligatoirement être compensé par l’entreprise dans la juridiction lésée ou, suivant les règles définies par le Cadre inclusif, dans une autre juridiction. Cette solution vise ainsi à lutter contre les paradis fiscaux où s’installent généralement les grandes entreprises pour transférer à leurs actionnaires les bénéfices d’exploitation générés dans les pays africains, en particulier dans le secteur extractif, par le biais d’optimisation agressive, voire de fraude fiscale.
Dans la pratique, bien que les bénéfices des sociétés soient déjà imposés à un taux entre 20 et 35% dans la plupart des pays en développement (comme c’est le cas en Guinée où le taux est, selon l’activité de l’entreprise, de 25, 30 ou 35%), la littérature économique révèle que le taux effectif d’imposition demeure généralement en-deçà de 15 %[3]. La Guinée pourrait alors être impactée par cette réforme, à l’instar des autres pays en développement, puisque les entreprises multinationales qui y opèrent sont, pour la plupart, toutes originaires des pays membres du Cadre inclusif[4].
Le ton est donné par les puissances occidentales elles-mêmes. Le temps n’est plus à la fébrilité face à la fraude fiscale dont les pays d’Afrique subsaharienne sont les premières victimes. Cette réforme est donc une formidable opportunité pour nos Etats africains de réduire la pression exercée par les investisseurs internationaux pour l’octroi ou le maintien des incitations fiscales qui leur sont accordées, et qui, souvent, sont considérées comme illégales ou abusives par nombre d’observateurs. Ce taux effectif d’imposition fait d’ailleurs écho à l’idée évoquée dans certains milieux financiers guinéens d’instaurer une sorte de réserve fiscale pour les entreprises bénéficiaires d’exonérations fiscales et douanières dans notre pays.
En conséquence, au risque de voir le manque à gagner guinéen profiter à d’autres pays, il parait, dès lors, judicieux d’emboiter le pas aux discussions internationales sur les incidences de la mise en œuvre de la solution pour les pays en développement[5]. La réflexion devrait également porter sur les éventuelles incidences pour nos finances publiques et l’identification, le cas échéant, des mesures nécessaires ou utiles à prendre.
[1] https://www.wsj.com/articles/global-tax-talks-hit-another-delay-11657530000
[2] Rapport sur la fiscalité du Secrétaire général de l’OCDE, Juillet 2022
[3] Déclaration du Cadre inclusif, FAQ, Octobre 2021
[4] La Guinée ne figurait pas dans la liste des Etats membres du Cadre inclusif sur le BEPS au 30 novembre 2021
[5] Symposium ministériel du G20 tenu le 14 juillet 2022