Impacts potentiels de la crise russo-ukrainienne

Impacts potentiels indirects de la guerre russo-ukrainienne

L’invasion de l’Ukraine a provoqué des vagues de sanctions contre la Russie dont, entre autres, l’exclusion du pays du système bancaire Swift et l’embargo sur les importations du pétrole russe aux USA. De plus, les deux pays en conflit occupent une place importante dans le commerce international notamment dans les domaines des matières premières (bauxite, nickel), de l’énergie (pétrole et gaz) et de l’agro-alimentaire (blé, huile).

Au regard du niveau d’intégration de la Russie et de l’Ukraine dans l’économie mondiale, l’exclusion de la Russie du système Swift devrait entrainer une baisse drastique ou une cessation des opérations financières du pays, aussi bien en termes de transactions que de mobilisation des financements pour les projets. Cette situation devrait influencer l’économie mondiale à travers la fébrilité des marchés financiers et la flambée des prix des produits de base.

La volatilité du marché financier, associée à la hausse conjuguée des cours de l’énergie, des produits miniers et alimentaires, devraient renchérir les coûts du fret, de la logistique et du transport mondial, déjà affectés par la crise sanitaire.  Dès lors, l’économie guinéenne ne devrait pas être épargnée compte tenu de son niveau d’intégration dans le commerce mondial en général, et de ses relations économiques et commerciales avec les protagonistes du conflit en particulier.

Impacts potentiels directs de la guerre russo-ukrainienne sur l’économie guinéenne

Considérant la nature des relations entre les pays en conflit et la Guinée, la guerre en Ukraine pourrait entraîner des conséquences multi-sectorielles et multi-dimensionnelles sur le pays. 

Du point de vue économique

La Russie est l’un des plus grands investisseurs dans le secteur minier où elle opère à travers quatre sociétés (CBK, COBAD, RUSAL et SMD). De 2018 à 2021, CBK et COBAD ont produit près de 21 millions de tonnes de bauxite, soit 7% de la production nationale. Sur la même période, RUSAL a pu produire 1,2 millions de tonnes pendant que la SMD enregistrait plus de 663 mille onces d’or, représentant 35% de la production industrielle totale d’or.

La guerre russo-ukrainienne, avec les incertitudes sur l’économie mondiale, devrait contraindre les décisions d’investissement et la demande d’importation. Dans un scenario catastrophe, l’arrêt des activités devrait entrainer une amputation de la production nationale en bauxite de 7%, en or industriel de 35% et en alumine de 100%. Cette situation risque de réduire la part du secteur minier dans le PIB, estimée à 16% en 2020.

En termes de flux d’échanges commerciaux, les sociétés minières russes représentent 7% des exportations de bauxite, 100% des exportations d’alumine et 34% des exportations d’or industriel. L’exclusion de la Russie du système Swift et le ralentissement ou l’arrêt des activités d’exportations devraient conduire à une baisse des recettes d’exportations et par conséquent à une dépréciation de la monnaie nationale.

La Guinée devrait subir les contre-coups d’une hausse du cours du blé. Parallèlement au risque de flambée des cours des produits alimentaires, le pétrole étant l’un des facteurs majeurs de production, la crise a déjà entrainé une hausse de son cours qui a frôlé, le 7 mars 2022, les 140$ le baril. Ce renchérissement du cours du pétrole devrait affecter négativement la dynamique de production nationale et provoquer un ralentissement de l’activité économique globale, déjà secouée par les effets de la pandémie de COVID-19 et les pesanteurs inhérentes à la transition politique en cours. Le taux de croissance de 5,7% prévu pour 2022 serait très difficile à réaliser d’autant plus que celui-ci est tiré en grande partie par les mines, la construction, le transport et la logistique. La contrainte d’offre due aux chocs exogènes, risquerait de provoquer une persistance à la hausse de l’inflation.   

En 2021, les quatre (4) sociétés sous bannière russe comptaient 5.234 employés directs dont plus de 96% de guinéens. Ces sociétés représentent près de 38% de l’ensemble des emplois directs crées par les sociétés minières en exploitation dans le pays. L’arrêt de leurs activités risque d’alimenter le chômage, déjà massif surtout au niveau des jeunes, compromettant ainsi la quiétude et la stabilité sociales dans un contexte de transition.

Du point de vue social

L’imminence d’une contraction des économies des pays en conflit fait peser un important risque de perte de revenus des milliers de travailleurs guinéens intervenant dans les secteurs d’activités où la Russie et l’Ukraine ont des intérêts. Ainsi, au niveau du secteur minier, plus de 5 mille emplois directs et 10 mille emplois indirects sont clairement menacés. D’autres emplois du secteur de l’industrie agro-alimentaire devraient subir les conséquences de l’invasion de l’Ukraine.

Parallèlement, la hausse du coût du carburant devrait contribuer à détériorer davantage le pouvoir d’achat, en raison de la spirale inflationniste induite, et les conditions de vie des populations. Ce cocktail pourrait conduire à des mouvements sociaux de manière à exiger un accompagnement des autorités afin d’atténuer les conséquences de la crise.

Du point de vue des finances publiques

La crise russo-ukrainienne devrait remettre en cause les hypothèses macro-économiques qui sous-tendent les prévisions budgétaires au titre de la loi de finances 2022. Par conséquent, le budget de l’Etat devrait connaitre des perturbations à cause de la baisse potentielle des recettes publiques, déjà affectée par celle des recettes pétrolières et les conséquences de la crise sanitaire. La contribution attendue du secteur minier se situe à plus de 2 mille milliards GNF, dont une bonne partie viendrait du commerce international (exportation des produits miniers), soit 8% des recettes publiques de l’année 2022.  Etant donné la forte présence russe dans le secteur des industries extractives, les recettes minières devraient subir les conséquences de la baisse potentielle de la production et de l’exportation de produits miniers.

Avec la hausse du cours du pétrole, la contribution, au titre des recettes publiques, des autres secteurs économiques exposés (industrie, commerce, transports, logistique, finances, etc.) devrait baisser. A cela, il faudrait s’attendre à voir les entreprises vulnérables et/ou en difficulté, solliciter des efforts de l’Etat, à coup de dépenses fiscales, pour leur permettre de se maintenir à flot et sauver des emplois menacés. L’accès à ces requêtes, dans une situation de crise, fragiliserait davantage le budget de l’Etat.

Avec la baisse potentielle des recettes publiques, l’espace budgétaire de l’Etat devrait donc se rétrécir, rendant difficile voire impossible l’exécution des dépenses publiques conformément aux prévisions.

Pour atténuer les conséquences des effets de la guerre sur l’économie nationale, il serait opportun pour l’Etat guinéen de mettre en place un comité de crise dont la mission est de préserver notre pays des effets de la crise dans tous ses aspects (diplomatique, économiques, financier, commerce, minier, entre autres).

Mamoudou Touré, Ph.D – Rapporteur de la MAMRI

Kémoko Camara – Chef de Projet / PMO de la MAMRI