Digitalisation de l’administration en Guinée

Les corrélations entre la digitalisation de l’administration et la bonne gouvernance

Comprendre la notion de digitalisation

Qu’est-ce la digitalisation ou la numérisation, et plus précisément la transformation numérique ou digitale de l’administration : c’est le fait pour l’administration, afin d’être plus performante et faciliter l’accès des services aux usagers, de changer sensiblement son fonctionnement (organisation, processus, outils, ressources humaines…), grâce à l’usage des solutions technologiques.

Difficiles dans un système non numérisé, la mise en place de solutions technologiques permet de répondre à 4 problématiques indispensables à la sécurisation des ressources de l’Etat guinéen :

  • La confidentialité des données, c’est-à-dire que l’information n’est accessible qu’à ceux qui y sont autorisés ;
  • L’intégrité des données, c’est-à-dire que l’information ne peut être modifiée que par des personnes autorisées et selon un procédé défini ;
  • La disponibilité des données, c’est-à-dire que l’information est accessible et utilisable aisément par les personnes autorisées. De plus, en cas de panne, cette information peut être en général récupérée ;
  • La traçabilité des données, c’est-à-dire que toutes les traces de l’état et des mouvements de l’information sont conservées et consultables par les personnes autorisées. Ceci facilite notamment le travail d’audit.

Malgré ces apports clairement identifiés, il faut néanmoins noter que le niveau d’utilisation des technologies spécifiques pour la gestion des ressources internes (fiscales, non fiscales et douanières) reste limité en Guinée.

En effet, la transformation digitale ne relève pas d’un phénomène naturel, elle doit être porter, du moins en partie, par les politiques publiques pour faciliter le changement technologique et atténuer les coûts potentiels de la transition vers le numérique.

Comment la transformation digitale contribue à une meilleure gouvernance et sécurisation des ressources de l’Etat guinéen ?

Tout d’abord, l’intérêt de la digitalisation de l’administration c’est l’amélioration de l’efficience, la transparence et l’impact de la politique budgétaire de l’Etat en renforçant le recueil et l’analyse des données par les autorités, ainsi que leur efficacité dans la prestation des services publics et l’accroissement des recettes (voir le graphique ci-dessous).

La mise en place d’outils numériques permet l’amélioration de la gestion des finances publiques à travers :

  1. L’amélioration des analyses, des prévisions et de l’établissement des budgets grâce à un accès à des informations plus précises et actualisées
  2. L’amélioration de l’exécution du budget à travers la réduction des délais, la simplification des procédures et la diminution des risques d’erreurs humaines
  3. L’amélioration de la transparence, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption par une meilleure accessibilité et plus grande mise à disposition des informations en ligne

La transformation digitale entraine aussi une meilleure optimisation des dépenses budgétaires via :

  1. Un meilleur ciblage des prestations et services publics car elle améliore fortement l’identification et la vérification des bénéficiaires, la communication des données et la gestion des informations. C’est donc un moyen pour limiter les détournements liés à la fraude, à la corruption et à l’adhésion excessive à des programmes publics (ex : via cartes d’identité numériques)
  2. Une meilleure couverture des bénéficiaires éligibles aux aides d’État qui ont tendance à adhérer plus facilement aux programmes sociaux du fait de la simplification des processus de demande et d’une plus grande sensibilisation aux prestations sociales. De plus, les outils numériques peuvent aussi aider les autorités à venir en aide aux ménages isolés (ex : via les paiements et transferts mobiles)

Enfin, la digitalisation, rime aussi avec l’accroissement des recettes de l’Etat par :

  1. La simplification de l’administration fiscale à travers l’abandon du paiement des impôts par chèque et en espèces permettant ainsi de réduire les coûts de transport, de main-d’œuvre et de transaction mais également de limiter la fraude. En Guinée, il faut noter que cette démarche a déjà été enclenchée par les impôts auprès notamment des grandes et moyennes entreprises à travers la plateforme eTax. Côté Douanes, il existe depuis de nombreuses années l’outil Sydonia qui permet également de collecter les taxes douanières.
  2. L’amélioration de la conformité fiscale par la mise en place d’outils numériques permettant d’optimiser le processus de paiement des impôts et de réduire les frais de mise en conformité fiscale (ex : déclarations de revenus pré-remplies). Elle permet également d’améliorer le volume et la qualité des renseignements sur les contribuables, la possibilité de vérification par des tiers (par exemple pour les données du secteur financier) ou l’utilisation de factures dématérialisées pour suivre les transactions afin de diminuer la fraude fiscale, y compris à la frontière.
  3. L’élargissement de la base de l’impôt à travers la formalisation des entreprises dans l’informel en mettant en avant l’acquisition d’informations et les facilités de paiements. Cependant, des actions doivent être menées afin d’accompagner « en douceur » les entreprises vers le chemin de la formalisation (information, sensibilisation, avantages…).

Les actions à mener par l’Etat guinéen pour récolter les fruits de la transformation numérique et en gérer les risques

La transformation numérique n’est pas pour autant une solution miracle pour obtenir de meilleurs résultats en termes de ressources Etatiques, mais elle peut compléter et renforcer les réformes structurelles sous-jacentes. Les actions visant à soutenir la digitalisation des services publics nécessiteront d’élaborer un cadre politique favorable reposant sur quatre grands piliers :

  • L’investissement dans l’infrastructure : infrastructures traditionnelles propices au numérique (ex : infrastructures électriques), infrastructures technologiques compatibles avec le numérique (ex : infrastructures de raccordement et connectivité internet des populations et entreprises…), stockage et gestion des données (infrastructures d’hébergement de données…)
  • L’investissement dans des politiques créant un climat propice aux affaires : adaptation de l’environnement économique et réglementaire, définition de stratégies numériques globales, accès universel et inclusion numérique, dialogue entre le secteur privé et public…
  • L’investissement dans les compétences : usage des technologies numériques pour améliorer l’enseignement de base, développement de compétences numériques, mise en place de pôles technologiques et formations…  
  • L’investissement dans les cadres de gestion du risque : lois portant sur la cybersécurité (violation de données, interruptions de communication…), sur les transactions électroniques, sur la protection des consommateurs, sur la confidentialité et la protection des données, sur les plans d’urgence et de reprise de l’activité après sinistre…

Pour sortir de la situation actuelle (sous-développement, crise sanitaire…) avec une économie plus résiliente, la Guinée devra donc nécessairement intégrer des stratégies numériques à son plan de développement global.

En résumé

La transformation numérique offre ainsi la possibilité de lutter plus efficacement contre la corruption. Plusieurs études ont explicité l’impact positif de la transformation numérique sur l’amélioration de la prévention, de la détection, de la notification et de la poursuite d’actes de corruption, notamment parce que la digitalisation pousse à la transparence, à la responsabilisation et à la participation des citoyens dans la gestion de l’Etat. Les outils d’administration fiscale numériques allègent également le travail des agents des impôts et contribuent à lutter contre la corruption de ces derniers en limitant les possibilités de pots de vin. En effet, à partir du moment où une opération ne se réalise pas par contact direct entre 2 personnes physiques, les possibilités de corruption et de fraude deviennent plus difficiles.

La transformation numérique peut également améliorer la gouvernance de l’Etat ainsi que les rapports entre les autorités et les citoyens, en renforçant la confiance vis-à-vis des représentants de l’Etat. La diffusion optimale des informations réduit les coûts liés à la recherche ainsi que l’aléa moral. De plus, avec l’utilisation d’outils numériques (comme les enquêtes d’opinion en ligne), les autorités peuvent impliquer d’avantage les citoyens dans la définition des politiques, les prises de décisions, la résolution des problèmes et la conception des services publics. Cela contribue donc à accroître fortement la qualité des services, favorise la transparence et consolide la confiance du grand public envers les pouvoirs publics, ce qui améliore la gouvernance, l’intégrité et l’ouverture du processus politique à la participation des citoyens.

Cependant, une transformation digitale efficace nécessite une véritable stratégie numérique ou un schéma directeur numérique (gouvernance, organisation, mise en oeuvre, formation, communication…) au niveau de l’ensemble de l’administration Guinéenne. Ceci permettra entre autres de connaitre précisément l’état des lieux du numérique au sein de l’administration, de définir la trajectoire et la marche à suivre pour digitaliser au mieux l’administration, et enfin, d’établir un budget « numérique » cohérent par rapport aux orientations et objectifs politiques. La mise en place de ce schéma directeur numérique sera aussi l’occasion d’identifier les processus (activités) et les outils numériques au sein de l’administration ainsi que leurs interrelations, et d’en juger la pertinence par rapport aux objectifs de l’Etat guinéen. A travers ce schéma directeur, les autorités auront donc un outil puissant pour répondre aux principales questions sur la digitalisation générale des services publics (toutes administrations confondues) :

  • Quels sont les projets numériques à prioriser ?
  • Quels sont les outils numériques à mutualiser ou supprimer ?
  • Quelles sont les ressources humaines et compétences numériques à développer ?
  • Quel est le budget à consacrer au numérique ?
  • Quels sont les rôles et responsabilités des différents acteurs ?
  • Quelles sont les interrelations et impacts sur les autres problématiques ou projets non numériques ?   

La MAMRI