Le civisme fiscal au service de la mobilisation des ressources internes

Dans la plupart des Etats, les impôts et taxes représentent l’essentiel des ressources publiques qui sont dépensées dans l’intérêt général. Pour le cas de la Guinée, les données disponibles indiquent un faible niveau de collecte des impôts et taxes par l’administration fiscale guinéenne avec un taux de pression fiscale qui demeure stable, depuis des années, autour de 13% du produit intérieur brut (PIB) alors même que le seuil admis par la communauté internationale comme minimum nécessaire pour assurer le fonctionnement de l’État, est de 15 % du PIB. À titre de comparaison, ce ratio est, en moyenne, de 35% dans les pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), 25% dans les pays de la zone Amérique Latine et Caraïbes et 17% en Afrique subsaharienne[1].

Plusieurs raisons pourraient expliquer cette situation. C’est notamment le cas de la faiblesse du cadre de gouvernance financière et de l’incivisme fiscal des acteurs impliqués dans la mobilisation des ressources, qu’il s’agisse des contribuables ou des agents du service public. L’incivisme fiscal peut se définir comme l’absence, voire le contraire, du civisme fiscal qui, lui-même, se définit comme la « motivation intrinsèque au paiement de l’impôt »[2]. Plusieurs études mettent en évidence le déficit de confiance qui existe entre l’administration fiscale et les citoyens du fait de la corruption, de la faiblesse des capacités administratives et, surtout, de l’impunité, pour expliquer cette faible conscience citoyenne. L’incivisme fiscal résulterait de la faiblesse du cadre de gouvernance financière : l’un serait ainsi la conséquence de l’autre.

En Guinée, malgré les efforts réalisés ces dernières années par les autorités – à savoir l’institution d’une obligation de déclaration et de paiement en ligne des impôts et taxes, l’allègement des formalités de création des entreprises, la dématérialisation des procédures administratives relatives au commerce extérieur, l’opérationnalisation des centres de gestion agréés, la mise en place d’une juridiction consulaire, etc. -, il reste encore beaucoup à faire : les autorités fiscales parviennent à suivre à peine 5 mille entreprises contre une dizaine de milliers créées chaque année, et l’économie guinéenne reste encore largement prédominée par les activités informelles.

Selon certains observateurs, le manque à gagner imputable à l’informel pour les économies en développement comme la nôtre varie entre 3 et 10% du produit intérieur brut[3]. Concrètement, cela représente un manque à gagner minimum d’au moins 5 mille milliards de francs guinéens chaque année. Cette perte de revenus pour les caisses de l’État a pour conséquence directe la rareté des ressources devant permettre à l’Etat d’honorer ses obligations régaliennes, notamment en termes de construction d’infrastructures suffisantes et indispensables au développement du pays. De ce qui précède, l’on comprend que le civisme fiscal représente un aspect primordial dans l’amélioration d’un système fiscal dans la mesure où plus les usagers respectent spontanément leurs obligations fiscales sans contrainte, plus le niveau de mobilisation des ressources publiques s’améliore et moins les Etats sont dépendants de l’aide extérieure. La question du civisme ou de l’incivisme revêt donc une importance capitale puisqu’elle est de nature à permettre aux Etats en général, et à la Guinée en particulier, de recouvrer plus de recettes et de répondre aux besoins primaires de la population tout en en faisant usage de moyens relativement limités.

Dès lors, pour aller vers plus de civisme fiscal dans notre pays, il apparaît essentiel de chercher à comprendre plus en profondeur les multiples raisons concourant à la persistance de cet incivisme. Cela pourrait se faire à travers une enquête qui, à l’image de ce qui se fait ailleurs, viserait à doter l’administration fiscale de données précises sur le rapport à l’impôt des usagers et agents économiques, ceci afin de dégager les pistes de réformes nécessaires.

[1] Statistiques des recettes publiques en Afrique 2019, OCDE

[2] Quels sont les déterminants du civisme fiscal ? – Document de consultation publique – OCDE 2019 [3] Omar Thiam. Le secteur informel en Afrique de l’Ouest : enjeux et perspectives. Management & Sciences Sociales, Kedge Business School, 2018, La responsabilité sociétale des écoles de management en France, pp.118-129. ffhal-02159695)